La crèche parentale, comme son nom l’indique, est un prolongement de la famille.

Elle est née du désir des parents de continuer à assumer leurs responsabilités éducatives sans en être dépossédés par les institutions.

La transmission par la famille, que l’on pourrait appeler « pédagogie parentale » est un phénomène universel et néanmoins peu reconnu (sinon par les ethnologues et les historiens), bien souvent mal compris, et trop peu défendu. Elle se trouve aujourd’hui de plus en plus concurrencée par la prise en charge croissante des institutions et des spécialistes. De plus, l’érosion des cultures familiales est accélérée par la diffusion massive de produits culturels de consommation (dessins animés, publicités, feuilletons américains, multimédias, etc…) qui contribuent au nivellement et à la disparition de l’identité culturelle des familles. Il est d’autant plus difficile de défendre la transmission familiale que celle-ci est essentiellement orale, et que cette oralité lui permet justement d’être en perpétuelle mutation : d’être en recherche !

Nous désirons ici clarifier le projet éducatif parental de la crèche Q.U.I. ?, sans pour autant le figer, puisqu’une de ses caractéristiques essentielles est justement d’être en perpétuelle recherche. Il s’appuie sur l’expérience des parents fondateurs, des parents présents, des professionnels de la crèche et sur des articles parus dans la presse.

 

La pédagogie parentale et les projets éducatifs des institutions

La transmission par la famille est fondamentalement différente des méthodes pédagogiques développées par les institutions (crèches, écoles, facultés, centre de formation…). L’apprentissage « naturel » en milieu familial est un phénomène culturel essentiel, qui permet à toute société, à toute culture de transmettre ses valeurs et ses modalités de fonctionnement de générations en générations, (apprentissage de la langue maternelle, des rites, des coutumes, des techniques, des comportements etc…). Pourtant la transmission par la famille est mal reconnue et se situe souvent en concurrence avec le projet éducatif des institutions, alors que la complémentarité entre ces deux modes de transmission apparaît comme une nécessité.

Comme le rappelle l’historien André Bourguière à l’ouverture du colloque de l’ACEPP « Europe Enfant Phare », la prise en charge de l’enfant par l’état suit une progression constante. En d’autres termes, le parent est de plus en plus déresponsabilisé (parfois même de son propre désir) de l’éducation de son enfant…Alors qu’il est le « premier éducateur de l’enfant » ! (Déclaration des Droits de l’Enfant).

Le mouvement parental va à contrecourant de cette déresponsabilisation et la crèche Q.U.I. ? témoigne de cet engagement des parents quant à leurs responsabilités éducatives : un engagement des citoyens dans la construction sociale. L’histoire de la crèche Q.U.I. ? illustre le long processus de dialogue, d’écoute puis de respect mutuel entre l’Etat et l’initiative privée. En effet tout d’abord portée par les mouvements de contestation des années 70, la crèche a su très tôt engager le dialogue et construire des relations de partenaire avec les institutions (Mairie de Paris, P.M.I., C.A.F….) Cela ne l’a pas empêchée de rester fidèle à la recherche militante de ses débuts, et de garder cet esprit fondateur critique, et parfois même frondeur, mais toujours d’une manière constructive. Ainsi la crèche garde cet esprit militant des premières années : il s’agissait d’inventer un mode de vie qui ne soit pas figé par les systèmes ou les valeurs établis ; qui soit fondé sur la raison et non plus sur les rapports de force (non-violence, écologie, émancipation, etc) et qui reste présent dans la manière même d’être avec les enfants : responsabilisation, accompagnement vers l’autonomie, refus de la coercition et de la violence, recherche du dialogue…)

Le double projet de transmission de l’identité familiale et de recherche de comportement nouveaux constitue la base du projet éducatif de la crèche, doublement inscrite dans son nom « Quel Univers Inventer ? » et dans ses statuts.

 

Q.U.I. ? Enfants et parents citoyens

La crèche parentale est une micro-société où enfants comme adultes doivent vivre ensemble, en apprenant à se connaître, en créant des liens ou en tolérant leurs différences, en s’enrichissant les uns des autres dans une écoute et un respect mutuels. Parce qu’ils confrontent et discutent leurs idées quant à l’éducation de leurs enfants, les parents développent une réelle conscience de leur propre pédagogie, de leurs différences. Ils comprennent, réfléchissent et font évoluer la relation avec leur enfant. Par ailleurs, en s’occupant des autres enfants, les parents apprennent à se détacher du leur, à construire une relation moins fusionnelle ou instinctive : une relation plus équilibrée, plus mûre.

L’une des spécificités de la crèche est l’attitude par rapport à l’appréhension du danger. L’enfant est confronté à une multitude de petits dangers :escaliers, toboggan, mezzanine, cour, sorties, grands et petits mélangés… Cette attitude, loin de refléter un laisser aller, témoigne au contraire d’une démarche consciente, d’une volonté de rendre l’enfant autonome en lui permettant de se confronter à de petits dangers pour apprendre à les maîtriser et les dépasser.

Bien plus qu’une forme de prévention face aux dangers quotidiens, cette attitude témoigne d’une démarche plus générale, visant à responsabiliser l’enfant (comme l’adulte d’ailleurs) par rapport à l’ensemble de ses comportements.

Chaque année les nouveaux parents se réapproprient cette démarche, dans une lente prise de conscience, qui n’est pas sans difficulté. En effet, au-delà de la crèche, l’association Quel Univers Inventer ? défend l’idée d’une citoyenneté active qui va à l’encontre du processus de déresponsabilisation croissante des citoyens : un univers cloisonné où chacun vit replié sur lui-même, s’en défiant, cherchant à défendre ses propres intérêts et craignant toujours plus la crise économique, le chômage, la guerre, l’altérité…

La crèche Q.U.I. ? est un lieu qui doit laisser aux enfants comme aux parents la possibilité d’être autonomes et responsables, un lieu où ils sont et resteront citoyens, avec toutes les difficultés que cela comporte.

A la question : « Quel Univers Inventer ? », la réponse du quotidien c’est un lieu où l’on donne à chacun les moyens d’être et de rester libre et responsable au travers de ses relations avec l’espace, avec son corps, avec les autres et avec soi-même.

 

La crèche Q.U.I ? : un espace de liberté

En ouvrant un espace avec très peu de règlements fixes, de hiérarchie, d’obligations écrites, la crèche confronte les nouveaux parents à eux-mêmes. Les familles y arrivent avec leurs idées, leur vécu, leur culture, leurs désirs, leur singularité, et cet espace de liberté parfois déstabilisant les met face à leurs responsabilités :la liberté pour quoi faire ?

Ce grand vide que doivent occuper les initiatives de chacun est parfois une angoisse pour les nouveaux venus. Dans la réalité il peut se passer deux choses : ou une dynamique collective ou, à l’inverse, un conflit plus ou moins prononcé entre différents groupes, différentes pédagogies. C’est le rôle des professionnels de gérer la dynamique de groupe et de la rendre constructive en aidant chacun à y trouver sa place.

Il faut remarquer que chaque famille vient à la crèche avec une démarche pédagogique et des attentes particulières et singulières. Toute la difficulté est de permettre à chacun de s’intégrer malgré sa différence, ce qui est d’autant plus complexe, que dans la relation parents/enfants se cristallisent les problèmes des adultes. Ainsi les parents arrivent souvent avec des problèmes plus ou moins prononcés dans leurs relations à leurs enfants.

La crèche Q.U.I. ? est un espace où ils peuvent confronter leurs comportements et leurs idées à celles des autres. Elle suscite un questionnement et une prise de conscience, seule à même de faire évoluer leur démarche pédagogique : leur relation à leur enfant. Faire évoluer les pratiques familiales de chacun par une pratiquer collective est l’intérêt essentiel de toute crèche parentale, où l’on ne travaille pas seulement avec l’enfant, en dehors de son contexte familial, mais où l’on fait évoluer la relation parent enfant dans son intégrité.

Relation entre parents et professionnels : la complémentarité

L’accumulation des réflexions, des expériences et des réalisations collectives constituent l’identité, la culture de la crèche Q.U.I. ?. Ce patrimoine collectif dans lequel tout nouvel arrivant est censé apporter sa pierre (architecture, décoration, idées nouvelles…) est transmis par le groupe des anciens parents et par les professionnels qui sont les garants de la continuité de la démarche et du respect des objectifs de la crèche.

Le professionnel de la crèche parentale ne prétend pas éduquer le parent ou l’enfant. En effet, il a pour fonction première de permettre à la démarche parentale de se poursuivre et de s’épanouir au quotidien. Il accompagne la famille, la seconde et la pousse dans son questionnement, il ne s’occupe pas seulement de l’enfant mais aussi du couple parent/enfant, ce qui permet un travail plus approfondi bien que plus complexe. Il doit animer le groupe en aidant chacun à y trouver sa place, il doit entretenir et susciter le débat, échanger des idées et les défendre, sans imposer son opinion ou ses méthodes de travail. Avec sa propre sensibilité, le permanent a pour fonction de lutter (si besoin est) contre toute forme de désengagement, de démotivation des parents.

Les relations entre les professionnels et les parents posent le problème des relations entre les citoyens et les institutions qui sont censées les représenter et les servir. Il s’agit de trouver un juste équilibre entre les fonctions et les responsabilités de chacun afin que ni les parents ni les professionnels n’aient un pouvoir excessif qui écrase celui des autres. Ainsi la crèche est un lieu où les parents sont et restent les « premiers éducateurs de l’enfant » mais où les professionnels doivent également épanouir leurs compétences éducatives. Il s’agit pour les uns et les autres d’être complémentaires et même de s’enrichir mutuellement dans une démarche d’échange créatif.